Ce soir-là, dans le salon tamisé d’un café discret, un petit groupe échangeait sur un sujet aussi simple que mystérieux : que perçoit un aveugle lorsqu’il est plongé dans le noir ? C’est une question qui semble anodine, une de celles que l’on pose machinalement, sans imaginer toute la complexité qu’elle charrie. Le noir, vous voyez, ce n’est pas simplement l’absence de lumière. Mais alors, qu’en est-il pour celles et ceux qui n’ont jamais vu la lumière ? Leur perception du noir existe-t-elle même ? Ou est-elle plutôt un néant absolu, une expérience radicalement différente de notre compréhension ?
Comment les aveugles expérimentent-ils l’absence de lumière et la notion de noir ?
Quand on imagine ce que peut être « voir du noir », on pense souvent à une obscurité totale, un voile uniforme qui enveloppe le champ de vision. Pourtant, pour une personne aveugle, en particulier celles et ceux nés ainsi, cette image est inexacte. Il serait erroné de dire qu’ils « voient » le noir comme un voyant plongé dans un tunnel sans lumière.
Parler de « vision » pour une expérience qui n’implique aucun stimulus visuel est lui-même un non-sens. Les aveugles de naissance n’ont simplement jamais eu cette expérience sensorielle pour s’y référer. Pour eux, l’idée du noir ne renvoie pas à une couleur ni même à une ombre, mais plutôt à une sorte de « rien » indéfinissable.
Hamou Bouakkaz, conférencier aveugle qui partage ses expériences vécues, explique que le noir, tel que le perçoivent les voyants, n’existe pas dans son monde. Ce qui s’appelle le noir pour une personne voyante est pour lui un « état d’absence », une expérience sans forme ni matière perceptible. Il évoque un « rien », une sorte de silence sensoriel plutôt qu’une couleur ou une sensation visuelle.
Le noir absolu ne signifie pas la même chose pour tous
Il y a plusieurs degrés à la cécité. Certaines personnes malvoyantes perçoivent des ombres, des lumières, voire des couleurs confuses à certains moments. D’autres, totalement privées de perception visuelle, correspondent à ce que l’on appelle la catégorie V, cécité totale ou « noir absolu ». Cette distinction est essentielle. Prenons l’exemple d’un malvoyant : il peut comparer son expérience à un brouillard dense, ou à un écran noir tacheté de lumière. Ce sophisme sensoriel est totalement hors d’atteinte de ceux qui n’ont jamais eu d’expérience visuelle.
En 2025, la science sensorielle continue d’explorer ces seuils. Les neurosciences révèlent que parfois, des personnes aveugles ayant subi une perte de vision tardive peuvent encore « voir » dans leurs rêves ou avoir des hallucinations visuelles. Pourtant, ceux aveugles de naissance témoignent d’une perte intégrale de ces contenus, illustrant à quel point la perception du noir est plus un concept qu’une expérience pour eux.
- 🧠 Neurologie et perception : Le cerveau n’a pas de « référence visuelle » en cas de cécité totale.
- 🖤 Le noir est une absence sensorielle, pas une couleur.
- 🌑 Certains aveugles perçoivent des sensations lumineuses, d’autres non.
- 🧩 Expériences variées en fonction de la naissance ou de la survenue de la cécité.
Ce qui nous amène à une nouvelle problématique : comment la société et la culture transforment cette notion, et comment s’inscrit-elle dans nos représentations collectives ?

Perception et représentation culturelle du noir chez les aveugles
Le noir est souvent chargé de symboles : obscurité, peur, mystère, vide. Dans les arts, la littérature, voire la religion, il incarne ce qui échappe à la lumière, au savoir, au visible. Mais quand la perception visuelle est absente, ces abstractions prennent un relief tout autre. S’interroger sur ce que le noir est pour un aveugle dépasse la phénoménologie sensorielle, cela tient à des dimensions philosophiques et culturelles.
Diderot, dans sa célèbre Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1755), posait déjà cette question. Il explorait l’idée, à sa façon lumineuse et sceptique, que si Dieu offre la vue, alors quelle place reste-t-il pour ceux qui ne voient pas ? Son texte, profondément ancré dans une quête philosophique, suggère que la cécité modifie radicalement la manière dont le monde est appréhendé : ce qui est invisible pour nous est peut-être très « visible » autrement.
Mais dans nos sociétés contemporaines, nombreux sont ceux qui doutent encore de cette complexité. Il est trop simple, voire commode, de supposer que l’aveugle voit un « grand rectangle noir ». Le noir n’est pas une enveloppe sensorielle uniforme : il est une absence, souvent difficile à imaginer pour un voyant, mais précisément une donnée neutre pour un aveugle. De cette neutralité naissent des expériences uniques, parfois insoupçonnées.
- 📚 Le noir comme absence sensorielle, non une couleur.
- 🎭 Symbolique du noir versus réalité vécue.
- 🤔 Une limite entre perception et imagination.
- 🧠 Comment le cerveau construit le monde sans repères visuels ?
Les aveugles et la lumière : un rapport paradoxal
Un autre paradoxe se dessine dans la relation que les aveugles entretiennent avec la lumière et l’obscurité. Hamou Bouakkaz raconte qu’il allume parfois la lumière pour ses amis car ils en ont besoin, mais lui-même ne constate ni la présence ni l’absence de lumière. Il confie oublier fréquemment d’éteindre. Cette anecdote révèle que le rôle que joue la lumière dans nos sociétés est avant tout collectif et culturel.
La distinction entre lumière et obscurité se fait souvent par la chaleur du soleil sur la peau, par le rythme du jour et de la nuit ressentis physiquement. Ainsi un aveugle qui ne perçoit pas directement la lumière garde cependant des indicateurs sensoriels alternatifs pour situer son environnement dans le temps.
Dans ce contexte, l’accessibilité dépasse l’adaptation physique : elle embrasse une compréhension fine des expériences sensorielles autres que visuelles, pour réinventer comment la lumière, le noir et l’environnement sont partagés.

La science derrière la perception du noir chez les aveugles : neurosciences et psychologie
Explorer la perception visuelle chez les aveugles c’est s’aventurer sur le terrain complexe de la neurologie. Le cerveau reçoit une quantité impressionnante d’informations visuelles chaque seconde, qui sont traitées pour bâtir un monde cohérent. Que devient ce processus quand les données sont absentes ou déformées ?
La catégorie V de la cécité totale est associée à une interruption complète du lien optique : soit par la lésion du nerf optique, soit par une atteinte cérébrale profonde. Dans ces cas, la sensation visuelle disparaît totalement. C’est un « noir absolu » qui n’a rien à voir avec le noir que nous expérimentons.
Le cerveau des aveugles, en particulier ceux aveugles de naissance, développe alors d’autres circuits sensoriels pour compenser l’absence de perception visuelle. Ce phénomène est un sujet central en science sensorielle, montrant la plasticité cérébrale remarquable.
En revanche, les aveugles ayant perdu la vue plus tardivement peuvent conserver des résidus visuels dans leurs rêves. Des études récentes attestent de différences notables dans le contenu des rêves :
- 🌙 Ceux nés aveugles ont des rêves sans images visuelles, fondés sur le son, les émotions, le toucher.
- 👁️ Ceux devenus aveugles plus tard conservent des images visuelles dans leurs songes.
Dans tous les cas, la « vision » dans ces rêves n’est jamais une reproduction fidèle de la réalité. Il s’agit plutôt d’une construction cérébrale, à partir d’autres sens et de souvenirs, qui échappe à la perception visuelle. Cette zone grise reste un champ d’interrogations passionnantes pour les chercheurs. La neurologie de la cécité interroge notre rapport à la perception, mais aussi à l’intuition et à la mémoire.
Applications pratiques : accessibilité et braille
La compréhension fine de la perception sensorielle chez les aveugles inclut la reconnaissance de l’importance du toucher et donc du braille. Ce système d’écriture tactile demeure fondamental pour l’autonomie, la connaissance et la navigation sociale des malvoyants et aveugles en 2025.
Plus encore, les technologies s’améliorent pour mieux intégrent ces divers modes de perception :
- 📱 Dispositifs tactiles avancés pour traduire des images en relief.
- 🎧 Aides auditives intelligentes, capables de guider en ville ou dans un bâtiment.
- 🌐 Applications vocales associées à des capteurs pour améliorer la mobilité.
Mais le défi reste toujours de repenser l’environnement, l’accessibilité et l’accompagnement pour qu’ils correspondent à ces expériences hors du champ visuel.

Un regard renouvelé sur les capacités sensorielles des aveugles : imagination et perception au-delà du visible
Une idée reçue court souvent : « si on est aveugle, on ne peut pas concevoir les couleurs ». Or, de nombreuses études montrent que bien que les aveugles ne puissent pas visualiser la couleur, ils en comprennent la signification, leur symbolique et la place qu’elles occupent dans la société. Cette forme d’imagination révèle un paradoxe fascinant :
- 🌈 Comprendre les couleurs sans jamais les avoir vues.
- 🧠 Imaginer les formes au travers d’autres sens.
- 🎨 Construire une représentation du monde intégrant sens, culture et symboles.
Dans ce sens, la perception visuelle, souvent tenue pour vérité absolue, est éclipsée par une perception plus large intégrant le toucher, l’ouïe, l’odorat, mais aussi la mémoire et l’intuition. La neurologie récente met en lumière une interaction entre ces différents corridors sensoriels, chacun soutenant une représentation cohérente du monde.
En 2025, nous commençons à peine à entrevoir les strates complexes de l’imaginaire chez les aveugles, où se mêlent mémoire corporelle et créativité, entre perception et intériorité.
Des expériences vécues qui bousculent nos certitudes
Clémence, malvoyante depuis la petite enfance, décrit ainsi son rapport à la perception :
« Je ne vois pas le noir comme une couleur. Pour moi, c’est silence. Une page blanche, un vide. Une attente. » Cette phrase résume bien la complexité du vécu sensoriel, en soulignant l’éloignement des standards visuels habituels.
Pour elle, et tant d’autres, l’accessibilité devient aussi une question de présence, d’attention portée à ces expériences invisibles pour un monde majoritairement voyant.
- 🔥 Le noir n’est pas toujours vide, il est chargé d’émotions.
- 🕯️ Les espaces sombres sont parfois des havres de paix sensoriels.
- 🔎 Perceptions multisensorielles riches chez les malvoyants.
Ces récits invitent à décoder le noir autrement, à dépasser la simple absence de lumière pour franchir la frontière entre perception et ressenti.

Questions qui restent ouvertes : rêver en images, imaginer le noir et percevoir autrement
La science pose encore plus de questions qu’elle n’apporte de réponses définitives. La question de savoir si les aveugles rêvent en images reste débattue. Certaines recherches montrent que les aveugles de naissance ne racontent pas de rêves visuels, ce qui semble logique vu l’absence d’expérience visuelle. Mais les mécanismes exacts du rêve chez eux restent mystérieux.
Par ailleurs, le fait que certains aveugles décrivent, parfois de manière subjective, des sensations lumineuses ou des couleurs différentes dans chacun de leurs yeux invite à une exploration plus profonde. Il y a donc :
- 🌌 Des phénomènes neurologiques inexpliqués
- 🎇 Des expériences souvent changeantes selon l’âge et la condition physique
- 🔮 Un imaginaire sensoriel qui défie la logique traditionnelle
Ces zones grises, loin d’être des manques, pourraient être le terreau d’une vision du monde renouvelée, où la perception du noir ne se réduit plus à un simple constat d’absence, mais devient un espace à explorer et ressentir différemment.
Regarder autrement le noir : un défi pour la société
Comprendre le noir vécu par les aveugles, c’est aussi revoir notre rapport à la cécité et à l’accessibilité. C’est aller au-delà du visible pour appréhender les expériences pluri-sensorielles. En 2025, cet enjeu est plus crucial que jamais, dans un monde où la technologie ouvre de nouvelles possibilités mais où la compréhension humaine reste primordiale.
En fin de compte, s’interroger sur ce que les aveugles perçoivent quand ils « voient » du noir, c’est surtout une invitation à s’ouvrir au silence, à l’absence, mais aussi à la richesse de perceptions qui échappent à notre imagination conventionnelle.
Questions fréquentes sur la perception du noir chez les aveugles
- ❓ Les aveugles voient-ils vraiment du noir ?
Non, la plupart des aveugles de naissance ne perçoivent pas le noir comme une couleur ou une image. Ils expérimentent plutôt une absence totale de vision. - ❓ Les aveugles ont-ils peur du noir ?
Souvent non, car pour eux, il n’y a pas de différence entre lumière et obscurité. Le noir n’est qu’un « rien » neutre, sans peur associée. - ❓ Les aveugles rêvent-ils en images ?
Les aveugles de naissance ne rapportent pas de rêves visuels, mais ceux devenus aveugles plus tard peuvent conserver des images dans leurs rêves. - ❓ Comment les aveugles perçoivent-ils le temps sans la lumière ?
Ils utilisent d’autres sens, comme la chaleur du soleil sur la peau, les sons ambiants, et le rythme des activités quotidiennes pour situer le temps. - ❓ Pourquoi les aveugles utilisent-ils le braille ?
Le braille est un langage tactile qui permet aux aveugles d’accéder à la lecture et à l’écriture, favorisant ainsi leur autonomie et leur inclusion sociale.
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